En agronomie, on rencontre parfois de « gros mots ». Des concepts qu’il faut connaître et bien comprendre car ils nous permettent ensuite de prendre des décisions et d’agir. Le rapport C/N en fait partie. Voici comment je l’ai compris.
La quantité de carbone et d’azote dans une matière
Le C/N ou « rapport C sur N » est un rapport de masse entre le carbone (C) et l’azote (N) constitutifs d’une matière organique. La valeur du C/N représente le nombre d’atomes de carbone par rapport à 1 atome d’azote. Plus la valeur du C/N est élevée, plus la matière est fortement carbonée. Plus la valeur du C/N est faible, plus la matière est dégradée, décomposée. On a coutume de dire qu’une plante peut se nourrir dans une matière dont le C/N est inférieur à 12. Cette matière est alors suffisamment décomposée pour que des ions minéraux solubles s’en détachent et que les racines de la plante puissent les capter.
Un indicateur utile pour la compréhension d’un sol
On trouve cet indicateur dans les analyses de sol délivrées par les laboratoires. Ces analyses mesurent respectivement la quantité de carbone et la quantité d’azote et les mettent en relation. En général, un sol de bonne qualité présente un rapport C/N entre 9 et 11. Cela signifie qu’il est composé de 9 à 11 atomes de carbone en proportion pour 1 atome d’azote. Grâce à cette valeur, on peut en déduire certaines choses.
Mesurer et comprendre l’activité biologique d’un sol
Cette double mesure permet de nous indiquer si l’activité biologique du sol fonctionne correctement, si les acteurs du sol sont en marche et que le cycle de la décomposition de la matière, qui crée le sol, s’effectue correctement. En effet, un sol dont le C/N est inférieur à 9 nous indique que la matière qui s’y trouve se dégrade trop vite. Ou qu’il y en a trop peu pour soutenir l’activité biologique. Ou que les matières apportées avaient de très faibles taux de carbone… dans tous les cas, l’activité biologique n’est pas optimale. A l’inverse, si le sol a un C/N supérieur à 11, la matière se dégrade trop lentement. Cela peut indiquer une faible activité biologique, l’absence de certains acteurs de la chaîne de décomposition qui devraient s’attaquer au carbone en temps normal. On cherche alors à comprendre pourquoi, en s’intéressant aux conditions physico-chimiques du milieu : le sol est-il trop tassé ? qu’en est-il de son pH ? Ainsi, le C/N ne peut pas s’interpréter seul. Dans une analyse de sol, on s’en sert généralement en parallèle d’autres indicateurs pour interpréter et savoir quelles problématiques rencontre le sol étudié.
Un indicateur utile en maraîchage sur sol vivant
On parle de C/N pour le sol – comprenez l’humus, la terre qui compose notre sol – mais on utilise aussi le C/N pour analyser n’importe quelle matière organique. En sol vivant, les matières organiques sont au coeur de nos pratiques, car on en apporte de grandes quantités sur le sol pour améliorer sa fertilité. On utilise des matières d’origine végétale ou animale. On privilégiera surtout les matières végétales car elles contiennent de la lignine, carbonée, qui crée l’humus stable, là où les matières animales (fumier, lisier…) apportent surtout de l’azote et agissent comme un engrais rapide.
Pour apporter des matières végétales, il faut soit les faire pousser sur place par le biais d’un couvert végétal, soit les faire venir de l’extérieur : broyat de déchets verts issu de la déchetterie ou de l’entreprise de paysagisme voisine, copeaux de la scierie locale…
En fonction de l’action qu’on souhaite avoir sur notre sol, le rapport C/N nous permet de déterminer quel végétal utiliser et à quel stade l’apporter sur le sol.
Le C/N pour choisir son engrais vert ou son couvert végétal
Si on souhaite apporter de l’azote pour combler un manque et nourrir les cultures, on choisira de faire pousser un « engrais vert« , c’est-à-dire un mélange spécifique d’espèces de plantes qui captent l’azote et le restituent au sol, par les racines ou leurs parties aériennes une fois coupées ; ou on apportera des matières avec un C/N bas, comme par exemple de l’herbe de tonte, des épluchures, de larges feuilles fraîchement coupées (ortie, consoude…). Ces matières seront décomposées rapidement par la vie du sol et leurs nutriments seront rendus disponibles pour les plantes.
Si on souhaite plutôt apporter du carbone pour améliorer la structure du sol et son taux de matière organique stable, on choisira de faire pousser un couvert végétal, c’est-à-dire un mélange d’espèces à fort développement qui auront tendance à « faire du bois » (des tiges fibreuses, ligneuses) ; ou on apportera du broyat de bois ou de la paille en surface qui seront décomposés lentement par la vie du sol.
Lorsqu’on implante une espèce pour qu’elle bénéficie à une culture suivante, on la sélectionne donc pour ses qualités d’engrais vert ou sa capacité à produire de la biomasse, en d’autres termes de la matière carbonée. Plus une plante est jeune, plus son C/N est bas : les jeunes plants verts sont fragiles et plein d’azote. Lorsqu’elle a atteint son stade de développement final, la plante a un C/N plus élevé, car elle a eu le temps de consolider ses tiges, ses branches, son écorce en formant des fibres et de la lignine. Ainsi, on choisira des espèces plus ou moins aptes à capter du carbone et créer des structures rigides pour restituer de l’humus, et on choisira aussi le stade de développement auquel on souhaite les couper (ou les coucher) pour les amener au sol et nourrir ses habitants.
En résumé, connaître le rapport C/N d’une matière donnée peut s’avérer très utile lorsqu’on veut pratiquer le sol vivant : cela permet de connaître la nature et la durée de l’apport nutritif que l’on fait à son sol, et de prévoir le temps de décomposition de la matière. Cet indicateur nous aide à sélectionner la matière organique à apporter à son sol, le mode d’apport (in situ ou extérieur) et dans le cas d’une culture végétale, à choisir les espèces et le moment de leur destruction.
Le C/N pour déduire les réactions d’un sol vivant
Connaître le C/N d’une matière organique apportée au sol permet aussi d’anticiper les déséquilibres générés par cet apport, et les réactions des micro-organismes. Par exemple, sur un sol dont le C/N est bas, on peut prévoir un phénomène temporaire de faim d’azote (un manque d’azote) si on apporte subitement beaucoup de matière très carbonée, avec un C/N élevé (de la paille par exemple). On peut alors prévoir d’apporter un engrais azoté en complément pour ne pas léser les plantes en croissance dans ce sol, ou tout simplement prévoir de laisser le temps aux bactéries libres de se développer pour capter de l’azote dans l’air et le transformer en azote organique, comblant ainsi le manque pour les futures cultures. Compléter les apports azotés ou être patient en laissant faire la nature sont deux options qui s’offrent à nous dès lors qu’on a prévu ce phénomène.
Quelques valeurs de C/N pour les principales matières organiques
Le C/N de l’herbe fraîchement tondue est faible, d’environ 5, cela signifie qu’elle est fortement azotée. Elle se décompose à toute vitesse : en 3 semaines, elle a quasiment disparu ! L’azote est très vite relâché et absorbé par le système-sol et la faible quantité de carbone est tout de suite digérée par la biologie. Cessez donc de remplir votre remorque pour aller vider votre herbe de tonte à la déchetterie ! Cette herbe est une succulente nourriture pour vos petits bénévoles du sol : la jeter est une aberration écologique, car en plus elle nécessite de polluer (prendre votre voiture et rejeter du CO2).
C/N < 15 | C/N > 15 | ||
Urine | 0,7 | Déchets de cuisine | 10-25 |
Sang | 2 | Marc de café | 24 |
Humus | 10 | Compost de ville | 34 |
Gazon | 10 | Feuilles | 20-60 |
Fientes de poule | 10 | BRF | 60-150 |
Compost de fumier fermenté | 10 | Paille de blé | 150 |
Fumier de ferme (stocké 3 mois) | 15 | Sciure de bois | 200 |