Vous l’aurez compris, les activités humaines, et notamment l’agriculture, sont responsables depuis quelques décennies d’une augmentation de la température à la surface de la Terre. Cela est dû principalement au rejet croissant de nombreux gaz à effets de serre dans l’atmosphère, et en particulier la vapeur d’eau et le dioxyde de carbone. Si le secteur énergétique a un rôle clé à jouer pour réduire les émissions des GES, l’agriculture doit elle aussi tirer les leçons de son histoire pour se préparer à l’avenir.
Le carbone, premier levier sur lequel agir ?
Le carbone est le premier élément constituant du sol capable d’absorber et retenir l’eau. Depuis plus d’un siècle, nous avons entrepris de déstocker tout le carbone fossilisé dans nos sols profonds. Nous avons également extrait une grande partie du carbone dans les horizons superficiels – les premières “couches” – des sols terrestres, pour cultiver des végétaux ou élever du bétail et nourrir les populations. En oxygénant le sol, le labour minéralise la matière organique et déstocke le carbone contenu dans le sol.
Tout ce carbone se retrouve aujourd’hui dans l’atmosphère et engendre petit à petit un ensemble de complications pour la vie à la surface de la planète : augmentation de la température qui dérègle les cycles des végétaux et de la biodiversité, montée des eaux, pollution… Vous les connaissez.
La Révolution verte, avec ses pratiques visant à améliorer la productivité des cultures et des élevages pour s’adapter aux besoins croissants des hommes, n’a pas su anticiper ses impacts environnementaux. Nous sommes face aujourd’hui à des enjeux climatiques qui nous dépassent. Notre croissance est alimentée par des matériaux, des machines et des énergies bientôt épuisées, mais elle les appelle toujours en plus grandes quantités. Nous nous sommes engagés tête baissée dans des voies qui nous mènent face au mur, et faire marche arrière est une manœuvre difficile. Comment arrêter le cercle vicieux ?
Les transitions doivent se mener dans de multiples domaines et s’accélérer, menées par des politiques engagées et conscientes de l’urgence et du réel danger pour les générations futures. Sur ce site, je détaille les principes agronomiques qui régissent un sol dit “vivant”, pour démontrer sa formidable capacité à stocker du carbone en le captant dans l’atmosphère sous forme de CO2. Je pense qu’en s’appuyant sur des mécanismes résilients tels que la nature les a conçus, nous tenons l’une des pistes majeures pour que l’agriculture reprenne à bras le corps son rôle de mère, bienfaitrice et nourricière de la vie, quelle qu’elle soit. A nous de jouer !
Grâce aux plantes et à nos pratiques agricoles différentes, il est possible de diminuer la durée de séjour du CO2 dans l’atmosphère d’un facteur 10 !
L’initiative « 4 pour 1000 » : un objectif atteignable ?
Lors de la Cop21 en 2015, une initiative lancée par la France nommée “4 pour mille” a démontré que les sols agricoles pouvaient jouer un rôle majeur dans les plans d’action visant à stopper le changement climatique. On sait que les sols contiennent 2 à 3 fois plus de carbone que notre atmosphère. C’est dans les 30 à 40 premiers centimètres du sol qu’il y en a le plus.
Si on augmentait chaque année la quantité de carbone stockée dans les sols de la planète de 0,4% (soit 4‰), on pourrait stopper l’augmentation annuelle de C02 dans l’atmosphère, due aux activités humaines.
0,4%, c’est si peu ! Bien sûr, il est compliqué d’agir partout à la fois, sur tous les sols à la surface du globe. Mais les sols agricoles peuvent en stocker bien plus, pour compenser ceux qui ne stockent rien.
Les principes énoncés pour y arriver sont les suivants :
- Stopper le labour, privilégier les techniques sans travail du sol et maintenir un sol toujours couvert
- Introduire davantage de cultures intermédiaires de type engrais verts
- Mettre des haies autour des parcelles et développer l’agroforesterie
- Optimiser le pâturage des animaux d’élevage en allongeant la durée aux champs
- Restaurer les sols dégradés notamment dans les régions arides ou semi-arides
- Améliorer la gestion de l’eau et l’utilisation de fertilisants organiques et composts.
En somme, faire l’inverse de tout ce que l’agriculture a mis en place depuis 1960…
Ces recommandations ont fait débat quand elles ont été publiées. Parmi les scientifiques, deux écoles se sont opposées : ceux qui pensaient que le défi était relevable et encourageaient à changer les pratiques et ceux qui trouvaient beaucoup trop limitées les possibilités offertes par ces techniques de sol vivant en matière de réponse aux enjeux de sécurité alimentaire. Devant des avis si contradictoires, comment voulez-vous que les politiques se décident à agir ?
La preuve que c’est possible
Des expériences à grande échelle nous permettent de nous faire une meilleure idée du potentiel de réussite de telles pratiques. Sur les cantons de Genève et de Vaud en Suisse, Pascal Boivin, agronome chercheur et professeur, s’est employé à analyser la séquestration du carbone de 3000 exploitations. Grâce à l’historique des données de ces parcelles (les relevés de sols comportent depuis longtemps des mesures de taux de MO), il relève des évolutions comprises entre -40‰ et +40‰ pour les parcelles prises indépendamment, avec une tendance globale à séquestrer de plus en plus au fil du temps. Avant les années 2000, les pratiques agricoles sur ces parcelles cumulées tendaient à émettre du carbone, environ -5‰. En 2006, l’ensemble des parcelles a atteint la neutralité. Le seuil de 4‰ a été atteint en 2012 et se situait en 2020 à peu près à 10‰. Toujours avec certaines parcelles déstockant fortement, compensées par des parcelles stockant davantage.
Ces résultats très encourageant s’expliquent par un certain nombre de mesures prises à l’échelle de ces cantons : rotation de 4 cultures minimum, obligation d’implanter un couvert végétal d’automne et des encouragements locaux à développer les nouvelles pratiques de l’agriculture de conservation.
A mes yeux, c’est la preuve que les efforts des uns peuvent vraiment faire pencher la balance ! Il suffirait qu’il y ait davantage de sols qui stockent que de sols qui déstockent pour atteindre une moyenne générale à 4‰. De quoi nous redonner un peu d’espoir, non ?
Une vidéo passionnante sur le rôle du carbone par Pascal Boivin sur Ver de Terre Productions